Angela Ciocan est enseignante-chercheuse à l’ESAIP, une école d'ingénieurs située près d’Angers. Contactée par téléphone, l’autrice de la thèse « Vers une Intelligence Artificielle Numérique Responsable », nous révèle les conditions sous lesquelles des IA plus responsables pourraient voir le jour.
Réalisé par : Adriana DAGBA
Une requête de moins de cent mots, faite à Chat GPT, consomme 0.3 watt-heures (Wh), soit deux fois moins qu’une lampe led après cinq minutes d’activité. Ce résultat, publié dans une récente étude menée par Epoch AI, un institut de recherche californien spécialisé en intelligence artificielle, va à l’encontre des estimations habituelles. Jusqu’à présent, chercheurs et chercheuses pensaient qu’une demande à une IA consommait dix à trente fois plus d’énergie qu’une recherche Google. Bien qu’une unique requête représente une consommation faible, les IA restent très énergivores, de la conception à l’utilisation.
« Nous nous retrouvons avec tellement de données qu’il est difficile de calculer »
Comme d’autres scientifiques, Angela Ciocan estime que le premier obstacle réside dans le calcul des répercussions environnementales de l'intelligence artificielle. Il n’existe pas de méthode uniforme pour le moment. « Nous nous retrouvons avec tellement de données qu’il est difficile de calculer », déclare-t-elle. Cependant, un constat est certain : le nombre d’usagers des intelligences artificielles augmente considérablement le volume d’électricité consommé.
En 2023, les associations GenAI Impact et Data for Good, jugeaient que l’utilisation pendant un mois de Chat GPT 3.5 [version désormais dépassée] par ses millions d’utilisateurs, représentait près de 10 000 tonnes d’équivalent CO2. Un résultat comparable aux effets de plusieurs vols Paris - New York en avion. Pour contrer cet effet rebond, Angela Ciocan préconise d’adapter l’usage des intelligences artificielles à nos besoins.
Des processeurs à réinventer
Les data centers, chargés de stocker les données à partir desquelles fonctionnent les IA, sont alimentés sans interruption. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la consommation d'électricité des centres de données de l'Union européenne devrait atteindre près de 150 térawatt (TWh) d'ici 2026. Cela correspond à plus du tiers de la consommation d’électricité en France. Afin d’éviter la surchauffe, ils sont également avares en eau. Ceux dédiés à faire fonctionner Chat GPT-3, consommaient un demi-litre d’eau toutes les dix à cinquante requêtes, selon une étude publiée par un groupe de chercheurs américains en 2023. En janvier de la même année, la plateforme comptait trente millions de visites hebdomadaires, laissant imaginer les quantités d’eau dépensées.
La surconsommation d’énergie se poursuit une fois que les IA atteignent leur phase d'entraînement, dans laquelle leurs algorithmes étudient des millions, voire milliards de données. Pour les rendre plus éco-compatibles, « il y a des techniques de compression, on peut réduire la précision de calcul ou [agir] sur le langage en supprimant des interactions entre neurones », assure Angela Ciocan.
L’entraînement des intelligences artificielles est possible grâce à des processeurs graphiques dits GPU (graphics processing unit), conçus pour réaliser des milliers d’opérations en parallèle. Or, il existe des processeurs plus écologiques selon Angela Ciocan, les CPU (central processing unit). En limitant la puissance de calcul, ils permettent de réduire la consommation « de 20 à 40% » selon les scénarios, évalue l’enseignante-chercheuse. Cependant, ces puces spécialisées requièrent plus de temps de configuration.
Des matériaux rares au cœur de la machine
Peu de puces sont capables de soutenir le nombre et la rapidité des calculs nécessaires aux IA les plus complexes. Selon The Economist, la société Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) produit plus de 90 % des puces les plus avancées. « Dans les puces, il y a environ 80 métaux différents », soulignait, dans un article de l’Humanité, Hugues Ferreboeuf, polytechnicien et membre du think tank The Shift Project.
Cobalt, tantale, gallium et autres métaux rares servent à la fabrication des composants d’intelligence artificielle. Leur extraction pèse sur l’environnement. En République Démocratique du Congo, où le cobalt est concentré, l’ONG Greenpeace a par exemple observé une importante pollution des cours d’eau proches des sites d’extraction. La déforestation et l’érosion des sols engendrés par le marché de l’extraction, impactent également les populations locales qui perdent des terres à cultiver.
La Coalition pour une IA responsable lancée au cours du Sommet pour l’action sur l’IA en mars 2025 promet un avenir plus vert pour le secteur. L’enseignante chercheuse Angela Ciocan ne croit pas à ce discours, mais pense que les évolutions technologiques finiront par réduire la consommation énergétique des intelligences artificielles : « Au début, les voitures étaient très énergivores, peu optimisées et polluantes. Avec le temps et les avancées technologiques, - je ne dis pas que c’est parfait- elles sont devenues plus efficaces, moins consommatrices et plus respectueuses de l'environnement. Même chose pour les voitures électriques, même s'il y a des débats sur les batteries et les métaux rares. J’associe ça à l'évolution de l’IA. »