Les deux Nantaises Amal Mouttaki, Amina Alim et la Quimpéroise Sarah El attar ont tenté de comprendre comment sont perçus les musulmans aux États-Unis depuis les attentats du 11 septembre en réalisant leur tout premier documentaire. Des témoignages recueillis avec peu de moyens, mais avec beaucoup de sincérité.
Réalisé par : Laurie le Brouster, Louis Martin et Clarine Julienne
Crédits photos : Work Togaether
“On a grandi dans un monde post 11 septembre dans lequel l'islam est représenté de manière négative dans les médias… C’est un peu tout ce qu’on a connu”.
En préparant leur documentaire, Amal, Sarah et Amina s'interrogent : pourquoi sommes-nous incapables de vivre ensemble, de coexister, d’aller au-delà de nos différences et de se voir les uns et les autres, simplement comme des êtres humains ?
D'apparence naïve, cette question pourtant essentielle permet au trio d'exprimer leur désarroi et de proposer leur propre vision des choses dans un contexte de tension et de progression de l'intolérance.
Sarah, Amal et Amina nous racontent ce qui les ont motivées à s'engager dans ce projet.
En effet, d'après le Council on American-Islamic Relations (CAIR), les actes de violences et le nombre d'actes antimusulmans aux États-Unis ont battus des records en 2015, conséquences des attentats en France, associés dans les esprits à ceux du 11 septembre.
Le projet "Togaether" s'amorce après ce fameux 7 janvier 2015. Face à la montée d’amalgames et de haine affirmée sur les réseaux sociaux contre la population musulmane, c’en est trop, le trio ne peut plus rester passif devant cette attitude qu’elles définissent comme “injuste envers une population majoritairement pacifique”.
Centrées sur les States, elles donnent la parole à ceux que "l'on n'a pas l'habitude d'entendre dans les médias traditionnels", comme le souligne Sarah à plusieurs reprises. Puis elle ajoute: “On a grandi dans un monde post 11 septembre dans lequel l'Islam est représenté de manière négative dans les médias... C'est un peu tout ce que l'on a connu".
Face aux stéréotypes racistes que l'on retrouve facilement dans les médias, ce documentaire subjectif ne souhaite pas victimiser mais proposer une autre vision, ouvrir une nouvelle fenêtre. “En tant que musulman, on n'est pas à l’abri de la menace terroriste”, rappelle Amal. Elles expliquent leur intérêt pour les États-Unis par le fait que le territoire Outre-Atlantique dispose d'un recul de 15 ans lors de la réalisation du documentaire. Selon elles, il est encore trop tôt en France pour y orienter leur caméra.
Comment réalise t-on un documentaire lorsque l’on est jeune avec peu de ressources?
Tout juste sorties de la fac, les trois jeunes femmes de 25 ans entament leur première création en tant que vidéastes. Ni journalistes, ni caméramen, elles se lancent dans un projet aussi périlleux en terme d'écriture, que technique. Comment procéder quand on n'y connait rien et qu’on a une bourse limitée ? Après avoir effectué une demande auprès du CLAP (Comité Local d'Aide aux Projets), elles ont sollicité l'aide financière d'urgence "Coup de pouce" et le Conseil Départemental du Finistère. Elles ont également fait appel au financement participatif en lançant un kickstarter, mais à ce jour, plus de la moitié du budget reste de l'autofinancement.
Armées de leur volonté et de leur matériel de tournage fraîchement acquis, Amal et Sarah partent pour 3 mois aux États-Unis au printemps 2016 afin de recueillir les témoignages de plusieurs protagonistes. Leurs rencontres, riches de confessions et d’émotions, se déroulent l’une après l’autre à travers le pays. Elles font étape dans plusieurs grandes villes dont New York et Chicago pour donner la parole à des citoyens américains de confession musulmane dans le but d’éclairer une réalité écartée selon elles des médias traditionnels: celle d’une communauté musulmane ouverte et pacifique.
Alors qu’Amal et Sarah suivent leur itinéraire à la fois planifié et improvisé, Amina, restée en France, rassemble le contenu récolté. Elle analyse, trie et sélectionne, parfois en regrettant de constater qu’une interview n’est pas exploitable à cause d’une prise de son encombrée. “Je me souviens d’une interview très touchante que l'on a réalisé avec une personne. [...] On a du lui dire que l'on ne pouvait pas utiliser l’interview dans le reportage parce que le son n’était pas bon. C’est très frustrant.”
La plupart des interlocuteurs ont été contactés depuis la France. Même si la majorité est de confession musulmane, ce n'est pas le seul critère de sélection. D'autre part, le contact a été facilité par leur propre orientation religieuse : "Le fait que nous-même soyons musulmanes a plutôt falicité nos approches avec ce sujet sensible. La relation de confiance a rapidement pu être établie". Une petite partie des protagonistes a été rencontrée sur place par le biais des premiers interviewés ou au fil de leur voyage. "On s'est beaucoup attachées aux personnes que l'on a rencontrées". Malgré les exigences vidéographiques, qui requièrent une préparation rigoureuse en amont, Amal et Sarah se sont autorisées une part d'improvisation qui leur a plutôt réussi, ne suivant pas toujours leur plan de tournage à la lettre.
Une expérience réalisée en plein contexte d'élection présidentielle
Pour les jeunes femmes, l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis est autant une surprise que le symptôme d'un climat de tension loin d'être résolu lorsque l'on connait la pensée politique de celui qui préconise "la fermeture totale des frontières à tous les musulmans" ou encore de "ficher les musulmans vivants aux États-Unis", en réaction aux attentats du 13 novembre. (cf Le Figaro du 08/12/2015)
Pour elles, son ascention à la Maison Blanche est le signal que la possibilité d'une arrivée de l'extrême droite au pouvoir est devenue réaliste en France, difficile à envisager lorsque l'on souhaite plutôt promouvoir une coexistence interculturelle pacifiée. "Nous avons peur que cette histoire se répête en France", raconte Sarah en parlant de l'élection aux USA, "Si on peut juste changer la vision de quelques personnes qui pourront à leur tour parler autour d'elles pour produire un effet domino, déjà se serait énorme."
Le contexte ne semble pas favorable à l'évolution des moeurs souhaitée par les réalisatrices et encore moins à l'acceptation de l'islam dans l'identité de la France, qui est aujourd'hui, quoi que l'on en dise, multiculturelle.
Malgré tout, elles restent optimistes, "comme nous, chacun peut faire quelque chose pour faire évoluer les mentalités. Avant de faire ce documentaire, nous n'y connaissions rien, mais tout le monde en est capable, il faut juste se lancer", affirmait Amal lors de leur projection à la Maison des Haubans à Nantes, le 18 novembre dernier.
Finalement peut-on "coexister" ?
Ne se revendiquant pas neutre, "Togaether" s'efforce de construire un pont entre les cultures, proposant un autre point de vue, en soutenant que le premier pas vers la tolérance réside dans le dialogue, une démarche qui semble réalisable à l'échelle de tous.
Après le succès de leurs projections publiques à Paris et Nantes, les trois jeunes femmes souhaitent rendre accessible leur documentaire à tous sur leur site.
En attendant, nous vous proposons de visionner leur teaser :
Retrouvez le documentaire intégral ici.
Pour plus de contenus, consultez la chaîne youtube de Work To Gather ici !