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Par Dany Tougeron, animateur d'Éducation aux Médias au Vlipp
Depuis près de deux ans, le Vlipp développe des interventions pédagogiques dans le secteur de l’éducation aux médias et à l’information (EMI). Par cet article, il est temps d’évoquer notre démarche dans ce milieu en constante évolution. De définir, aussi, cet éveil sur les questions médiatiques, ce développement de l’esprit critique que nous défendons à travers la vidéo et les méthodes d’éducation populaire déployées sur le terrain, dans une volonté d’inclure tous et toutes.
Le monde des médias poursuit sa mue. La « grande-messe » du journal télévisé, le vieux modèle hertzien et ses quelques chaînes de télévision n’ont plus le monopole de la transmission de l’information. Les canaux de diffusion s’étendent aujourd’hui à de nouveaux acteurs de l’information. Sur les réseaux sociaux, l’actualité prend une place centrale. Des revues de presse s’installent sur Twitch, l’actualité est commentée, disséquée sur YouTube, ses grandes lignes intégrées à des publications sur le réseau social X (anciennement Twitter) où émergent des comptes influents, reportant l’information en quasi-instantanéité. L’explosion du nombre d’acteurs, au sein du milieu de l’information, pose, de manière plus active, la question de sa vérification. Ce que je lis est-il fiable, déontologique ? Peut-on faire confiance à cette journaliste, à cet utilisateur des réseaux sociaux ou à ce commentateur de la vie publique qui me parle en direct depuis une plateforme de streaming en vogue ?
Il y a près de deux ans, afin de répondre à ces enjeux, mais également pour accompagner les paroles des jeunesses et les rendre audibles, le Vlipp a décidé de s’investir pleinement dans le secteur de l’éducation aux médias et à l’information (EMI). En tentant de mettre ses spécificités sur la table pour contribuer à ériger cet édifice toujours en construction malgré de nombreuses années de théorisation. Ce ciment pédagogique est défini en 2009, par la Commission européenne, comme « la capacité à accéder aux médias, à comprendre et apprécier, avec un sens critique, les différents aspects des médias et de leurs contenus », l’activité engendre l’expression de « controverses fécondes », comme le rappelle le chercheur Jacques Gonnet.
La vidéo comme outil pédagogique d’intervention
Car l’éducation aux médias et à l’information n’est pas uniforme et n’a pas réellement vocation à le devenir, elle est portée par différents acteurs dont les actions se lient sur le terrain. Dans les salles de classe, il n’est pas rare de croiser quelques journalistes, pigistes ou membres de rédactions de presse traditionnelles. Des associations se partagent les zones d’actions. Les professionnel·le·s de la médiation numérique touchent aussi à ces questions.
Au Vlipp, nous tentons de transmettre des clés de compréhension au public, qu’il soit déjà sensibilisé à ces causes ou éloigné du monde médiatique. Cette dynamique fait partie de notre ADN depuis de nombreuses années. Elle s’exprime à travers l’accompagnement, sur le terrain, de bénévoles qui construisent un message journalistique dans divers projets. Loin des contraintes que l’on incombe aux médias traditionnels. Donner la parole à celles et ceux qu’on a tenu éloignés des micros a toujours été une priorité, un héritage associatif à consolider. Forcément, les interventions d’EMI, réalisées par le Vlipp, renforcent cette fibre qui accompagne l’association depuis sa création en 2004.
Tout au long de l’année, les salarié·es de l’association interviennent sur le territoire de la métropole nantaise dans des collèges, lycées, auprès d’étudiant·es, dans les centres socio-culturels, les médiathèques… Nous évoquons, lors de nos interventions, la diffusion de l’information en partageant des moyens de vérification, des prismes de lecture aux participant·es. Aiguiser l’esprit critique du public fait partie des objectifs du Vlipp. En particulier, face aux discriminations et aux stéréotypes véhiculés par certains médias, en se confrontant, à titre d’exemple, à des unes de presse. L’analyse de ces écrits permet d’identifier un récit, parfois problématique, qui doit évoluer. Face à des articles présentant les femmes comme responsables des violences sexistes et sexuelles qu’elles subissent, ou des prises de positions éditoriales racistes, l’exercice offre une matière d'analyse des biais médiatiques. Il permet, en filigrane, de questionner fondamentalement certaines représentations communes et notre propre vision des choses, parfois erronée. Notre association s’intéresse également au montage et, par essence, aux manipulations qui peuvent en découler.
Devant une poignée de jeunes ou une classe surchargée, la méthodologie d’intervention n’est pas la même. Les outils et les animateur.ices s’adaptent. Mais les formats restent conçus pour accueillir les prises de parole, les débats, pour questionner certains discours qui peuvent s'exprimer au cours de l’intervention. Il n’est, par exemple, pas rare d’observer une libération de la parole sur des sujets difficiles. Des élèves profitent de l’atelier sur le cyberharcèlement pour évoquer des situations compliquées expérimentées au sein de leur établissement. D’autres se saisissent des interventions sur le racisme pour témoigner, devant leurs camarades, des oppressions vécues dans le quotidien.
Le Vlipp est un média vidéo. Par conséquent, lors de chaque intervention, nous veillons à conserver cette spécificité qui nous est chère en proposant des exercices de production sur les thématiques discutées en atelier. Des interviews, des spots de sensibilisation ou un JT des fake-news fabriqué de toute pièce par les participant.es d’ateliers consacrés à la diffusion des fausses informations. Le résultat final reste toutefois secondaire, les notions évoquées lors des séances d’EMI demeurent l’intérêt principal de notre mission. Même si l’utilisation de l’outil vidéo en atelier permet aussi de partager quelques bases pratiques de tournage pour, peut-être, ouvrir les participant.es à un univers qui paraît de prime abord assez inaccessible. Développer l’égalité des chances grâce à l’audiovisuel, montrer que l’on n’a ni besoin de matériel haut de gamme, ni d’une diction irréprochable pour s’exprimer devant ou derrière la caméra.
L’EMI n’est pas une matière neutre
Sur le terrain, le Vlipp tente de rendre chaque atelier le plus ludique possible, dans une démarche d’éducation populaire par des jeux et des techniques d’animation. Cette participation collective est au cœur de notre vision de l’éducation aux médias et à l’information, que l’on souhaite la moins descendante possible. Nous arborons une vision de l’EMI au pluriel, en englobant les nouveaux canaux médiatiques qui émergent, sans se cantonner à la seule analyse des pratiques journalistiques traditionnelles. Le Vlipp se penche sur la diffusion des contenus sur les nouvelles plateformes comme Twitch, Instagram, TikTok. Sans pour autant tomber dans une diabolisation facile et attendue de ces outils. Si une attention particulière est portée aux rouages algorithmiques qui les façonnent, ces réseaux offrent de fraîches perspectives, de nouvelles possibilités dont il faut s’emparer lors de nos interventions. Il ne s’agit pas, non plus, de faire le service après-vente des pratiques médiatiques traditionnelles. Elles s’observent, elles aussi, sous la lumière des analyses critiques.
L’éducation aux médias et à l’information n’est pas une matière neutre. Le collectif La Friche dans l’ouvrage Petit manuel critique d'éducation aux médias, l’évoque en ces termes : « nous la pensons avec des lunettes de l’éducation populaire. Se rattacher à ce champ pédagogique et politique, c’est assumer que l’éducation aux médias et à l’information n’est pas neutre. C’est aussi affirmer que l’EMI doit s’articuler sur des utopies de changement et d’émancipation, que la déconstruction des représentations médiatiques a pour objectif de transformer la société pour la rendre moins inégalitaire, et qu’elle a vocation à rendre les publics acteurs et actrices de l’information. »
La vision d’une EMI émancipatrice, venant bousculer certains modèles qui façonnent le monde médiatique actuel, scie aux orientations fléchies par notre association. Notre ambition réside dans un accompagnement des prises de parole, que les participant.es de nos ateliers se réapproprient leur image médiatique en produisant leur propre discours. Le Vlipp continue et continuera de mener de front ses missions d’éducation aux médias et à l’information à travers des valeurs d’inclusion et d’éducation populaire avec, pour horizon, de redonner une voix aux jeunesses dans leur intégralité.